Super 8
Ce canapé, issu du salon familial de l’artiste, devient le support d’une œuvre où mémoire et absence se superposent.
KRUGH
Cette œuvre est née d’un film familial en Super 8 tourné en 1985. En le projetant quarante ans plus tard, Krugh y lit bien plus qu’un souvenir : un passage entre les temps, une visitation silencieuse. L’enfance, la mémoire et la révélation s’y tissent en un même souffle. Le texte qui suit est une lecture intérieure de ce film devenu œuvre. Super 8 – La lumière ne rejoue pas le passé, elle le révèle.
Une projection Super 8 montre l’artiste enfant, entouré de sa famille lors de son anniversaire, associé à la fête des mères. Quarante ans se sont écoulés depuis cette scène — un cycle de traversée, où le temps de l’enfance rejoint celui de la révélation. La joie simple d’un instant ressurgit, portée par le Nocturne n° 13 de Chopin, transformant le meuble domestique en reliquaire habité. Sur la boîte du film retrouvé, une étiquette écrite à la main par sa mère. Quarante ans plus tard, cette note anodine devient une écriture prophétique : chaque mot, relu à la lumière du présent, semble agir comme un script caché.
Dans le film, la flamme des bougies éclaire le visage de l’enfant et le cadeau - un joystick en forme de gants de boxe semble déjà annoncer la lutte et le feu à venir. Une main s’ouvre huit fois, un papillon se pose sur un rideau de lumière, une croix se forme dans le cadre de la fenêtre, une bouteille d’eau de source volcanique apparaît. Ces images forment une liturgie secrète.
Le Super 8 devient support d’alliance : entre le temps et l’éternité, entre ceux qui ont été et ceux qui sont, entre l’enfant de 1985 et l’homme traversé de 2025. Le chien s’appelait Ulysse — signe discret du voyage : partir, errer, revenir. L’enfant, encore sans nom, cherchait déjà celui qu’il porterait plus tard. Il ne s’appelle pas encore Krugh. Il est l’enfant d’un feu invisible. Le canapé, porteur du film, s’est lui-même métamorphosé en une forme tripode après l’avoir peint et dans la matière, une figure mariale semble apparaître.
L’inscription rouge — WE ARE HERE, WE LOVE YOU — parait à la fois un message venu des siens et d’un ailleurs plus vaste, comme un écho d’amour traversant le temps et la matière. Elle évoque la persistance de l’amour au-delà de l’absence et de l’invisible. Et juste avant que l’image ne s’efface, le papillon sur le rideau laisse la trace d’une visitation légère comme un signe que le vivant demeure et se transforme. Dans la lumière projetée, Krugh reconnaît l’archétype de l’icône de Roublev, celle qui était à l’entrée de la maison d’enfance. Ainsi, Super 8 n’est pas un souvenir retrouvé, mais un appel entendu à retardement. Ce qu’il projette aujourd’hui sur le canapé, c’est le visage du commencement — celui que la lumière avait gardé pour le temps du retour.
À travers la projection, le film agit comme une machine à voyager dans le temps. La lumière ne rejoue pas le passé : elle l’ouvre, le traverse, le rend présent autrement. Chaque image devient un passage où les temporalités se superposent dans un même souffle.